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Présentation générale

​        Le projet que nous nous proposons d’examiner est la naissance du sentiment à l’âge classique (XVIIe-XVIIIe siècle). En philosophie, le sentiment apparaît à la fin du XVIIème sous la plume de Malebranche comme une entité à part entière, distincte de la sensation et de la raison. Il s’identifie à une affection de l’âme lui permettant de se connaître d’une part et de connaître son rapport à Dieu et à l’ordre des vérités morales d’autre part. Ce qui le distingue d’emblée de la simple sensibilité, c’est sa dimension morale. Par rapport aux lumières de la raison, il a ce pouvoir de toucher l’homme et ainsi de lui rendre accessibles certaines vérités métaphysiques. Ainsi, l’apparition du sentiment en philosophie manifeste la prise en compte, dans le domaine de la connaissance, de la dimension passionnelle de l’homme. Il est le corrélat de l’attention aux passions telle qu’elle se développe au XVIIème siècle : l’homme, cet être caractérisé par l’union de l’âme et du corps, est susceptible de connaissances non pas seulement rationnelles, mais irrationnelles. Avant Malebranche, les sentiments représentent l’envers des connaissances manifestant la grandeur de l’homme, au sommet desquelles se trouve la connaissance intuitive, réservée aux anges dans les philosophies médiévales. L’intuition, contrairement au sentiment, est un acte de l’âme seule, sans rapport au corps. Descartes en fait la condition de la connaissance des vérités métaphysiques, clé de voute du système de la connaissance en général. Au XVIIe, intuition et sentiment représentent alors les bornes de la connaissance humaine, et contribuent à situer l’homme dans l’échelle de la nature : à la place médiane, entre les êtres célestes et les animaux.​


         Ce qui nous semble intéressant, c’est qu’au XVIIIème siècle s’opère une valorisation de la partie irrationnelle de l’homme au détriment de sa partie la plus élevée, visible par la place qu’acquiert le sentiment dans toutes les disciplines : philosophie, politique, religion, littérature, théâtre, musique. Et cette valorisation est une refondation : le sentiment n’est plus le signe de l’animal en l’homme, mais devient la marque réelle de l’humanité. Que ce soit pour l’école du sens moral en Ecosse, pour les encyclopédistes français, mais aussi pour les nouveaux genres esthétiques (roman de sentiment, comédies larmoyantes), le sentiment est paradoxalement ce qui décentre l’individu de lui-même en le rendant attentif à l’altérité ; il est ce qui fonde les relations sociales. Même dans une perspective plus théologique, que ce soit dans la mystique ou le courant déiste, le sentiment élève l’homme en le mettant en rapport avec une transcendance.
Nous voudrions étudier, au moyen de toutes les approches possibles, de quelle manière le sentiment tel qu’il est créé au XVIIème en Europe, représente 1/ une rupture par rapport à l’héritage médiéval et classique et 2/ une préparation au romantisme du XIXème siècle. En effet, le sentiment étant à la jonction entre individualité et communauté, ce courant doit s’en inspirer et y trouver ses leviers.

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